Les sculptures récentes de Sandra Zeenni témoignent du renouveau de son dialogue engagé depuis plusieurs années avec Rodin.
Cette conversation avec le travail expressionniste du sculpteur est désormais marquée par le désir de dépasser un corps féminin érotisé, sensualisé par le regard masculin, tel que l’amant de Camille Claudel l’avait mis en oeuvre, et plus largement tel qu’il a été souvent représenté au cours de l’histoire l’art.
De ce point de vue, Germaine Richier est, pour Sandra Zeenni, l’une des artistes qui réussit le plus brillamment ce dépassement en délestant ses sculptures figurant des corps féminins, d’un filtre masculin devenu conventionnel et répétitif. Selon cette lecture, Germaine Richier inscrit ses corps des années quarante et cinquante non seulement dans l’univers dévasté de l’immédiat après-guerre et dans la force de la Nature dont elle utilise le vocabulaire, mais aussi en opposition à la société patriarcale de l’époque et ses rôles impartis.
Loin des itinéraires balisés, le parcours technique et créatif de Sandra Zeenni préfigure ses dernières pièces de manière significative.
Comme nombre de ses prédécesseuses plus ou moins lointaines, Sandra Zeenni débute sa carrière artistique dans ce qu’il était convenu d’appeler les “arts appliqués” ou les “arts décoratifs”.
A sa manière, elle rebondit sur ce domaine réservé pour le transformer et le détourner. Elle fait évoluer sa pratique de la céramique vers la sculpture en en subvertissant les codes. Certaines pièces réalisées sans dessin sont ébauchées grâce à des maquettes de petites tailles; elle abandonne l’émaillage de ses ronde-bosses blanches en obtenant une matière mate qui s’apparente au plâtre et met les corps à vif. Elle déporte ses volumes noirs vers le bronze sculptural, où la couverte posée au pinceau procède d’une gestuelle proche de la peinture. Sa sculpture sollicite le regardeur et l’incite à une approche tactile pour une rencontre polysensorielle.
Ses sculptures évoquent l’ouverture d’un corps féminin voué à la jouissance comme aux assauts et intrusions. Un contact direct avec les pièces donne lieu aux effets de surprise que déclenchent la succession des angles de vue :
- un seul corps versus deux corps enlacés ou fusionnels,
- un corps laissant apparaitre ses articulations et sa colonne vertébrale versus un enchainement de formes mutantes qui prolifèrent tels des rhizomes,
- une surface bosselée, creusée et trouée aux résonnances troubles versus une matière blanche et sublimée.